Emma Prin

Pour ne pas s'oublier sans rien dire

Revenir à l’essence même de la photographie.
Au temps et à la patience, au hasard et aux défauts propres à la photographie.
Toute mes photographies sont réalisées au sténopé.
Il s'agit d'un appareil photographique créé en percant un minuscule trou sur la paroi d'une boite hermétique à la lumiere. En appliquant une surface photosensible sur la paroi opposée et en exposant plusieurs minutes à la lumiere, l'image inversée de la réalité extérieure va alors se former sur le papier.
J'ai donc concu mon appareil moi-même, dans une boite à thé métallique. J'y introduit des films négatifs transparents que je développe dans mon propre labo photo, avant de les scanner et de les retravailler numériquement.
Le sténopé est une source de créativité inépuisable.
On ne maitrise jamais tout à fait la technique et l’image qui va en sortir est à chaque fois une surprise.
D’une erreur peut surgir une image inattendue que je n’aurais jamais imaginée.
Les temps de pause tres longs permettent des bougés, la double apparition d'un même modele, des parties de corps qui se prolongent, qui se multiplient.
C’est un travail tres solitaire, j'utilise souvent mon propre corps pour sculpter l’image.
Je me dédouble, me transforme, me travestis. L’imperfection due à la technique presque primitive donne l’illusion de tout.
Il ne s’agit plus de mon corps, mais de simples corps qui ne m’appartiennent plus.
Je fais de la photo pour raconter des histoires, illustrer les sentiments, la vie émotionnelle, pour ne pas oublier sans rien dire.
Mes images évoquent des sujets intimes. Elles racontent la sensation charnelle d'abandon, de manque, de désir, d'abattement, de doute, d'un besoin de consolation, d'amour, de contact physique. Les corps sont esseulés, recroquevillés, sortent d'eux-même, s'éloignent, disparaissent. Ou alors ils s’étreignent, s'embrassent et se touchent.
Mes images racontent la mémoire de la peau et de l'âme. Elles tentent de saisir un moment qui s'éloigne, de retranscrire visuellement une émotion ressentie.
Mes sténopés sont aux antipodes de la perfection et de la maitrise numérique. Il sort de la boite à chaque fois une image hantée de fantômes, empreinte d'une mélancolie poétique qui me fascine.
Entre douceur et violence.
Entre sensualité et macabre.
Je mêle souvent mes sténopés avec des photographies numériques. Il s’agit de détails, parfois j’ajoute un œil, une bouche, une main... Un élément étrangement net qui vient contraster avec le flou et les imperfections du reste de l'image.
Ce mariage entre l’ancien et le contemporain rend la photographie perturbante, insaisissable. 

La médiathèque

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